De déplacée à micro-entrepreneure
Capitaliser sur son savoir-faire pour développer un moyen de subsistance
La situation sécuritaire du Mali entraîne de lourdes conséquences sur l’économie locale en particulier sur le secteur informel. Dans la région de Mopti, ils sont des milliers à avoir perdu leurs moyens de subsistance lors des déplacements massifs. De l’agriculture, à l’élevage en passant par le commerce, rares sont les secteurs qui ont été épargnés par l’insécurité résiduelle. Avec la majorité de la population âgée de moins de 24 ans, le chômage et le manque d’activités génératrices de revenus représentent un grand danger pour le développement du pays. Dans ce contexte de crise complexe, la jeunesse malienne continue de faire preuve de résilience en puisant dans ses ressources et son savoir-faire pour survivre et se créer un lendemain meilleur.
Véritable symbole de cette ténacité à la malienne, Mme Djiguiba Korotoumou Guindo, participante au programme au Projet d’Appui à la Sécurité Alimentaire, la Réconciliation et la Résilience (PASERREL), prouve que malgré les difficultés nous pouvons améliorer notre quotidien en nous focalisant sur ce que nous savons faire de mieux.
D’un savoir-faire hérité à un travail passionné
Née dans le chef-lieu du cercle de Douentza dans la région de Mopti, Korotoumou a déménagé dans la commune de Hombori avant de se déplacer dans la ville de Sévaré. Titulaire d’un diplôme d’étude fondamentale, elle a dû interrompre sa scolarité pour se marier et changer de localité. Aujourd’hui mère de 3 enfants, elle se consacre intégralement à son métier qui est la transformation de farine en vermicelle songhay. “ Je fais ce travail car il est pratiqué dans notre famille depuis toujours. C’est mon seul et unique métier.”
Avant de se déplacer à Sévaré, Korotoumou gagnait déjà sa vie en vendant ses vermicelles lors des foires à Douentza ou à l’occasion d’évènements majeurs sur commande de ses clients. Avec plus de 20 ans de pratique, la préparation n’a plus aucun secret pour l’entrepreneure. C’est avec beaucoup de passion qu’elle partage son expertise avec nous: “Pour préparer les vermicelles, nous pétrissons d’abord la pâte et nous la laissons reposer pendant 30 minutes pour permettre à l'eau de la pénétrer correctement. Ensuite avec la main nous la modelons en utilisant de la farine pour faciliter le découpage et éviter qu’elle ne colle. Il y a plusieurs méthodes de production dépendant de la clientèle cible et de son habitude alimentaire. Pour les clients de la foire, les morceaux sont plus gros et secs. Mais pour les habitués, nous utilisons plus d’eau et de farine afin que les morceaux soient plus fins.”
Qu’importe son lieu de résidence, Korotoumou fidélise ses clients grâce à sa recette et son intransigeance en matière de qualité. Contrairement à la méthode des grandes villes, elle n'utilise pas de levure pour augmenter le volume de sa production. Selon son constat, cette méthode paraît avantageuse mais si on utilise trop d’eau et que la pâte ne sèche pas correctement, elle devient acide et la différence se sent directement au goût. “Je préfère produire petit à petit et prendre quelques heures pour la fabrication au moins deux fois par jour. Je fais tout pour que la pâte ne passe pas la nuit sans être transformée. Car un client qui achète des vermicelles acides ne revient plus passer commande.”
Korotoumou évite également d’utiliser les restes de farine provenant des boulangeries car ils contiennent souvent du sable. Ils coûtent moins cher mais ils ne sont pas propres et ils nécessitent plus de traitement. Les cartons de farine qu’elle se procure coûtent plus chers mais ils offrent une bonne qualité. Même si sa marge est faible, utiliser de la bonne farine permet de fidéliser la clientèle.
Faire face aux difficultés et s'adapter
Avant le début des conflits à Hombori, Korotoumou estime sa capacité de production à une quantité de 20 à 30 bols de vermicelles. La totalité de ce stock était vendue lors de la foire hebdomadaire de la ville. En parallèle, elle pouvait écouler 10 bols auprès de ses habitués pour un bénéfice mensuel estimé à 10 000 FCFA soit 18$. Ce montant lui permettait de subvenir à ses besoins de base et à ceux de ses enfants.
Depuis le début de la crise au Mali, l’insécurité règne en maître dans la commune de Hombori. Elle est régulièrement le théâtre d’attaques à répétitions, de kidnapping et d’expropriation perpétrés par des combattants djihadistes et des individus armés. “D’années en années, la situation sécuritaire s’est dégradée à Hombori. Des hommes armés débarquaient dans la nuit et commettaient toutes sortes d'exactions. Puis il y a eu de plus en plus de cas de kidnapping. Finalement un jour, ils ont procédé à une tuerie de masse. Ils tiraient sur qui ils voulaient et épargnaient qui ils voulaient. Lors de cette attaque particulièrement sanglante, quelques-uns de nos voisins de paliers ont été assassinés et jusqu’à présent certains sont portés disparus. Nous avons donc décidé de fuir à 20 et de rejoindre Sévaré.”
A leur arrivée avec leurs enfants, Korotoumou et ses compagnons ont été accueillis par une première association locale. Cette dernière avait du mal à les loger et à les nourrir. Quelques personnes du voisinage leur remettaient souvent des plats mais il leur arrivait de passer 5 jours sans manger correctement. Au bout de quelques semaines, il leur a été demandé de libérer les lieux. Fort heureusement, les déplacés étaient rentrés en contact avec l’Union des Femmes Battantes pour la Paix et la Cohésion Sociale, une association locale impliquée dans l’appui aux déplacés dans la région de Mopti. La présidente de l’association s’est tout de suite mobilisée pour leur hébergement mais également pour trouver des appuis auprès des organisations humanitaires et du service du développement social. Korotoumou passera 5 mois au camp de déplacés de la cité officielle avant de se trouver une location.
Se servir de son talent comme échappatoire
“Au camp, les membres de l’association nous aidaient beaucoup avec de la nourriture mais nous n’avions aucune activité génératrice de revenu. Alors, ils nous ont demandé s’il y avait parmi nous des gens qui pratiquaient des métiers. Je leur ai parlé de mon expérience en matière de transformation de farine en précisant toutefois que je n’avais pas les moyens d’assurer la production sur place. Pour être productif, il faut de la stabilité, un lieu approprié et surtout la quiétude que les enfants aient de quoi manger. C’est ainsi que la présidente nous a parlé du projet PASERREL de Mercy Corps au Mali en nous précisant qu’elle pouvait nous appuyer à postuler dans la seule condition que nous soyons serieux dans le travail.”
Le Projet d’Appui à la Sécurité Alimentaire, la Réconciliation et la Résilience est une intervention de 3 ans visant à améliorer le bien-être et la résilience économique des communautés du centre du Mali en deux phases. Financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international, PASERREL répond aux besoins urgents des communautés en particulier dans les secteurs du redressement économique au centre du Mali. Comme Korotoumou Guindo, ils sont plusieurs milliers à être identifiés, formés et encadrés dans la mise œuvre de leurs projets entrepreneuriaux. Une fois sélectionnés,les candidats sont évalués par les agents de Mercy Corps pour déterminer leur niveau avant d’être invités à participer aux formations à Mopti. Les dites formations abordent plusieurs thèmes tels que les techniques de ventes, la gestion de micro entreprise, le développement de business, le compte d’exploitation ou encore la tenue de cahier de charges. “Ce qui m’a le plus plu dans la formation c'est la méthode de suivi journalier qu’on nous a enseigné avec les détails des ventes et des dépenses. Mes bénéfices étant fortement liés aux évènements tels que les fêtes, ce suivi est crucial pour mon business. A la fin de l’année je peux facilement dresser un bilan et prendre les dispositions pour le futur.”
Après l’étape de formation, les micros entrepreneurs reçoivent entre 120 et 150 000 francs CFA (soit environ 275$) pour le rétablissement de leur moyen de subsistance généralement en deux tranches. Avec sa première tranche, Korotoumou a acheté des cartons de farine qu’elle avait repéré lors de son étude de marché. Son expérience lui a permis d’identifier les produits de qualité supérieure, plus sains et mieux protégés contre les verres de terre. Elle a également acheté un van (ustensile de cuisine) et une natte de travail.
En plus de sa production habituelle, Korotoumou a profité de ce nouveau départ pour saisir une nouvelle opportunité. En effet, lors de sa phase d'étude, elle est rentrée en contact avec une dame qui produit du couscous à base de farine et de brisures de riz. Il ne lui a fallu que deux jours pour maîtriser cette technique, diversifier sa marchandise et optimiser son rendement. “En tout j’ai pu produire un total de 40 kilos de couscous et 20 bols de vermicelles. Grâce à cela, j’ai obtenu un bon retour sur investissement à tel point que je n’ai même pas touché au 50 000 FCFA (91$) de la seconde tranche de la subvention. Je n’ai retiré que 7 500 francs CFA (14$) de cette somme et j’ai déposé le reste auprès de mon fournisseur de farine.” Korotoumou nous précise qu’elle préfère sécuriser son stock de cette façon et le retirer progressivement pour éviter que les enfants n'endommagent ses produits.
Dans tous les aspects de son travail, elle fait preuve d’une grande capacité d'adaptation à son environnement. La vente de vermicelles à Sévaré est très différente de celle du Hombori. A présent elle ne participe plus aux foires hebdomadaires, elle ne vend qu'à domicile. Mais grâce à son savoir-faire et à l’appui des membres de l'union des femmes, elle arrive à fournir régulièrement ses clients qui sont de plus en plus nombreux. “A l’occasion de la fête de l’armée par exemple, j'ai pu décrocher une grosse commande auprès des femmes de militaires et réaliser une vente de 55 bols de vermicelles pour un peu plus de 75 000 francs CFA (138$). Cela grâce au bouche à oreille et à l’appui de l’union des femmes. Sinon en temps normal, après toutes mes dépenses, je me retrouve avec un bénéfice mensuel net d’environ 15 000 francs CFA (presque 30$). Depuis la subvention de Mercy Corps, je suis indépendante et autonome. Je subviens à mes besoins et à ceux de mes enfants au quotidien. Je travaille depuis la maison sans recevoir d’ordre de qui que ce soit.”
Regard tourné vers l’avenir
Maintenant que ses conditions de vie se sont améliorées, Korotoumou nourrit à présent de grands espoirs quant au développement de son business. Avec des moyens plus conséquents, elle envisage d’acheter une machine électrique de production de vermicelles. Ce matériel lui permettrait de dynamiser sa production et de sillonner les rues pour vendre ses produits en dehors de la maison. Mieux encore, elle pourrait devenir fournisseur pour les marchés de Sévaré et de Mopti, à la longue, carrément négocier une place de vente fixe auprès de la mairie. Plus que son intérêt personnel, Korotoumou ambitionne également de créer des moyens de subsistance pour son entourage. En effet, ce sont des jeunes sans emplois qui l'aident dans la production pour assurer ses commandes. Avec plus de moyens, elle aimerait réellement les rémunérer mais malheureusement, elle peine elle-même à faire face à ses charges pour l’instant.
“Nous sommes toujours dans la précarité et une aide supplémentaire serait la bienvenue, mais nous apprécions réellement l’appui dont nous avons bénéficié. Je n’ai pas de mots pour remercier Mercy Corps car chez nous on dit “le bienfaiteur n’est rémunérable que par Dieu”. Ceux qui aident les veuves, les orphelins et autres nécessiteux, seul Dieu peut leur rendre la pareille. Nous, les déplacés, nous sommes très reconnaissants envers Mercy Corps et ses collaborateurs. Nous remercions vivement l’union des femmes battantes qui nous a accueillis, qui nous a soutenu et qui reste toujours à l’écoute des déplacés. Grâce à votre aide conjointe, nous avons de réelles perspectives pour l’avenir”.
L’objectif principal du Projet d’Appui à la Sécurité Alimentaire, la Réconciliation et la Résilience est d’améliorer le bien-être et la résilience économique des communautés du centre du Mali par une réponse holistique et sensible aux conflits. Cet objectif se décline en trois sous objectifs qui sont l’appui aux personnes déplacées vulnérables et aux communautés d’accueil, l’amélioration de la sécurité alimentaire et la fourniture d'abris/infrastructures d’hygiène. Le projet a permis la création et la restauration des moyens de subsistance d’environ 1650 participants en 2019 et 2021 dans la région de Mopti.